Actualité
Comment gérer l'allongement de la vie professionnelle des agents exerçant dans la fonction publique... (Enfin) un « plan » ?
juin 2012
Le vieillissement des agents publics pose de nombreux défis : maintien d'un déroulement de carrière attractif, bien-être et santé au travail, reclassement des agents exerçant des métiers pénibles, transmission des connaissances, lutte contre les stéréotypes...Pour améliorer la prévention et les conditions de travail, le député Pascal Brindeau fait du développement de la médecine préventive un préalable.Parmi les mesures innovantes proposées par le rapporteur : « Il faudrait créer une agence de toute la fonction publique »[1] , sorte de Pôle emploi pour les fonctionnaires.
Partant du constat que « la gestion des ressources humaines dans la fonction publique[2] a insuffisamment pris en compte le vieillissement des agents[3] et le report à 62 ans – à partir de 2017 – de l'âge de départ à la retraite »[4] , que le retard et ses conséquences sont « considérables », le député Pascal Brindeau a remis, fin février dernier, au ministre de la Fonction publique un rapport sur « la gestion des âges de la vie »[5] . Après avoir fait un état des lieux et le tour de bonnes pratiques (en France, dans la fonction publique et le secteur privé, mais aussi dans certaines fonctions publiques étrangères), le député émet 7 propositions parfois très audacieuses pour changer la donne.
Mais pourquoi la « gestion des âges de la vie » est-elle aujourd'hui un enjeu pour la fonction publique ?
Le rapport Brindeau pointe plusieurs raisons à la nécessité de donner, simplement mais sans attendre, une nouvelle impulsion à la gestion des âges de la vie dans le management des ressources humaines de la FP.
Faire face au vieillissement continu de la population active
Tout d'abord, la France, comme de nombreux pays, voit l'espérance de vie s'accroître. Le vieillissement de la population devient donc une véritable problématique dans le management du travail (public et privé) non seulement aujourd'hui, mais aussi pour les 30 prochaines années. Toutefois, la France n'a pas anticipé aussi rapidement que ses voisins européens les transformations en matière de gestion des agents plus âgés dits « seniors », l'allongement des fins de carrières ou encore les impératifs croissants de mobilité et d'adaptabilité de ses personnels que cela implique. Elle ne connaît qu'un taux d'emploi des 55-64 ans de 38 %, alors qu'il est de 46 % dans l'Union européenne et supérieur à 50 % dans bon nombre de pays européens (53 % aux Pays-Bas, 58 % au Royaume-Uni, 70 % en Suède[6]).
Se voulant exemplaire, la fonction publique française entend rattraper son retard. Pour ce faire, elle doit, au préalable, s'appuyer sur une démarche prévisionnelle pour ne plus avoir à subir les évolutions démographiques.
Maintenir les seniors en activité une véritable nécessitée
Une autre raison est également avancée : la fonction publique a aujourd'hui besoin de tous ses agents pour garantir le financement du système des retraites ainsi que le renouvellement des générations dans l'emploi[7]. Explications : en juin 2007, l'État a lancé la « Révision générale des politiques publiques » (RGPP), programme de modernisation de l'action de l'État touchant l'ensemble des politiques publiques et l'ensemble des ministères. Ce programme a entraîné la réduction progressive du nombre de fonctionnaires et de profondes restructurations (fusions de directions comme la fusion de la Direction générale des impôts et de la Direction générale de la comptabilité publique, transfert d'activités à des opérateurs, etc.). Par ailleurs, la réforme des retraites impose un allongement des carrières (départ à 62 ans et non plus à 60 ans à partir de 2017). Ces réformes récentes rendent nécessaires une employabilité des agents jusqu'au bout de leur vie professionnelle... Mais pour cela, les conditions de travail des seniors doivent être adaptées (aménagement de postes, adaptation de bureaux...).
Éviter de perdre des compétences clés détenues par les seniors
Troisième raison invoquée : il faut transmettre les savoirs. « Un tiers des fonctionnaires prendra sa retraite dans les dix années à venir » prévient le rapport. Cela pose un « sérieux problème de transmission des connaissances et des savoir-faire ». Il est également urgent que les générations qui cohabitent puissent avoir des échanges organisés de nature à transmettre la culture fonction publique : connaissance, expertise, compétences, savoir-faire acquis par les plus anciens tout au long de la carrière... afin de maintenir un service public efficace et que les processus qui fonctionnent (souvent non écrits) ne soient pas perdus au départ à la retraite de l'agent.
Changer de vision culturelle et les pratiques inter-générations
Et une quatrième raison se profile aussi : il faut changer les mentalités sur l'âge au travail. De façon générale, relève le rapport, sans être en mesure de vérifier les préjugés qui existent sur la gestion des gens plus âgés, les formes de discrimination, de ségrégation, de mépris fondées sur l'âge (ou « âgisme ») peuvent se traduire par des comportements plus ou moins conscients (attribution d'une tâche à un plus jeune, « oubli » de l'informer...). Les managers sont peu sensibilisés à la diversité des âges.
Pourtant la lecture du rapport montre que la perception qu'ont les agents sur leur état de santé dépend directement de la qualité de leurs relations avec leur encadrement et leurs collègues. Ainsi, selon une étude du centre départemental de gestion de la fonction publique territoriale de l'Isère auprès des agents des collectivités de ce département, « 69 % des agents qui se sentent soutenus par leurs responsables ou leur équipe souhaitent se maintenir en activité ».
Valoriser les parcours professionnels et offrir des débouchés intéressants
Enfin, dernier point d'attention : il faut permettre aux agents d'avoir envie de continuer à servir l'administration. Quelle que soit la fonction publique[8], la vie professionnelle des agents s'organise selon le principe de « carrière ». La progression de la carrière se fait par « avancement d'échelon » ou par « avancement de grade », à l'ancienneté et par examen professionnel. Cependant, cette gestion des carrières dite « linéaire », à l'ancienneté, a vécu. La gestion des âges de la vie doit être « globale », prendre en compte l'ensemble de la carrière de l'agent, de ses premiers pas dans la fonction publique jusqu'à sa retraite (« un junior est un futur senior »).
Le constat est le suivant : un agent exerçant successivement différents métiers dans la première partie de sa carrière sera davantage capable de se reconvertir et de « rester dans le coup » par la suite. Aussi, l'administration doit pouvoir offrir à l'agent une lisibilité sur ses perspectives. Côté « jeunes générations », elle doit trouver les arguments pour éviter une fuite de jeunes cadres de qualité dont l'ascension est aujourd'hui rapidement freinée voire bloquée, vers le secteur privé, et côté « seniors », ils doivent de sentir utiles et valorisés.
Pour mettre en place une « véritable » gestion des âges tout au long de la vie professionnelle, le député du Loir-et-Cher part des pratiques innovantes et existantes en la matière, pour proposer toute une batterie de mesures.
Les pistes proposées pour mettre en place une « véritable gestion des âges tout au long de la vie professionnelle »
Appréhender globalement la situation
En premier lieu, il est important, selon le rapport, d'avoir une approche globale de toutes les questions posées. Fort du constat de la faiblesse des données statistiques et du partage de leur traitement, le rapport préconise donc de « lancer des programmes d'étude et de recherche » (sur les métiers source de pénibilité physique ou psychique, sur les représentations socioculturelles ou les discriminations entre générations).
Dans une logique de décloisonnement, il préconise carrément de confier la gestion des trois fonction publique à une seule administration, alors qu'aujourd'hui, elle relève de trois directions différentes (Direction générale de l'administration et de la fonction publique, Direction générale des collectivités locales et Direction générale de l'offre de soins). Pour cela, il propose de transformer la Direction générale de l'administration et de la fonction publique (DGAFP) chargée aujourd'hui, entre autres, d'éditer le rapport sur l'état de la FP en véritable « DRH groupe » avec la mise en ½uvre d'un centre de ressources partagées et l'activation du plan de gestion prévisionnelle des ressources humaines (GPRH).
Toujours dans cet ordre d'idées, la bourse interministérielle de l'emploi public (pour la fonction publique d'État) et les bourses d'emplois de la fonction publique territoriale et fonction publique hospitalière donnent accès aux fiches de postes des emplois vacants dans les services mais, selon le rapporteur, n'offrent pas une vision claire et précise de l'offre globale sur le marché de l'emploi public.
Aussi, prône-t-il la mise en place d'un « portail de l'emploi transversal » sur lequel les candidats à la mobilité pourraient consulter les offres d'emploi des trois fonctions publiques et d'une rubrique « Observatoire des métiers de la fonction publique » offrant de l'information sur la diversité des métiers existant et les passerelles possibles d'un métier à un autre.
Porter un effort particulier sur la formation et la valorisation des acquis de l'expérience
Pour améliorer l'accès à la formation, passage souvent obligé vers une nouvelle carrière, le député innove en préconisant la mise en place pour chaque agent d'un « passeport individuel de compétences ». Celui-ci aura pour but de favoriser l'activation des dispositifs de formation existants mais largement sous-utilisés, tels que :
- le congé de formation professionnelle (CFP) qui a pour but de permettre à l'agent de suivre, à son initiative, des actions de formation personnelle, indépendamment de sa participation aux actions prévues dans le plan de formation de l'administration au sein de laquelle il exerce son activité ;
- ou le droit individuel à la formation (DIF)[9].
De même, il préconise de « relancer la communication » sur l'existence de ces dispositifs et d'élargir les possibilités d'utilisation du bilan de compétences pour permettre aux agents de suivre des formations d'ordre personnel, « comme cela se pratique déjà dans le secteur privé ».
Permettre de diversifier les parcours professionnels, une écoute et un accompagnement de l'agent dans sa mobilité et l'évolution de sa carrière
Le député prône aussi de favoriser la mobilité. Il rappelle que les agents et les directeurs ressources humaines doivent mieux s'approprier la « boîte à outils » créée par la loi du 3 août 2009 relative à la mobilité dans la fonction publique, et ce afin de développer les passerelles entre les emplois[10].
Pour ce faire, il propose que chaque service élabore une « charte de la mobilité », et émet surtout, une proposition forte, tirée des expériences d'ores et déjà menées dans le secteur privé : instaurer « un droit à l'entretien de carrière de mi-parcours, à 45 ans ». Celui-ci serait réalisé avec un « référent mobilité-carrière » désigné dans chaque administration, qui ne serait pas le manager direct de l'agent. Cet entretien doit, selon le rapport, être entièrement dédié à l'employabilité de l'agent, sa reconversion éventuelle pour aborder la deuxième partie de sa carrière, ses besoins de formation, les perspectives d'emploi du service et de l'administration, la mobilité.
Dans le même ordre d'idées, la création d'un « espace conseil et orientation professionnelle » (ECO) au plan interministériel permettra selon le député, une écoute et un accompagnement des cadres supérieurs souhaitant se reconvertir. Cet espace s'inspire de l'agence de reconversion de la Défense, sorte de Pôle emploi pour les militaires et le personnel civil, qui accompagne les agents en reconversion ou en réorientation professionnelle hors des fonctions publiques dans la perspective d'une deuxième carrière civile.
Enfin, autre suggestion audacieuse, pour conserver les « hauts potentiels », il propose d'instaurer « une mobilité obligatoire » pour l'ensemble des corps d'encadrement supérieur et de n'autoriser l'accès aux grands corps de l'État (Conseil d'État, Cour des comptes, inspections générales...) qu'après une période d'activité de quatre ans et non plus en sortie d'école.
Offrir des perspectives aux agents en fin de carrière
Par ailleurs, le rapport Brindeau propose « une meilleure gestion des fins de carrière », surtout en ce qui concerne la « génération sacrifiée », c'est-à-dire « les gens âgés de 54 ou 55 ans, pour qui on a changé les règles concernant les retraites et qui se retrouvent à travailler plus longtemps, et qui en même temps, suite à la RGPP, ont moins de perspectives de carrière, puisque le nombre de postes de direction a été réduit ». Pour ces personnels, il propose d'ouvrir des chemins alternatifs, avec le développement du tutorat, des missions d'expertise et la création d'un dispositif spécifique de « temps partiel fin de carrière », qui permettrait aux agents qui le souhaitent de s'engager, tout en continuant à travailler, dans des associations, dans des missions d'expertise... Ce régime d'activité allégée pourrait être décisif dans le choix de ces agents d'aller au-delà de l'âge légal de départ à la retraite. Le rapport rappelle que « pour les personnes âgées qui restent en emploi, les conditions de travail et l'environnement au travail priment sur les autres aspects de leur travail (hors considérations de besoins financiers) ».
Prévenir les risques d'inaptitude et agir sur les conditions de travail
Dans cet esprit, le rapport met en avant le fait que le maintien des seniors dans l'emploi passe par l'amélioration de la prise en compte des conditions de travail à tous les âges (mise en place du télétravail par exemple), la prévention des risques psycho-sociaux, mais aussi le développement de la médecine préventive. Si pour le député, des solutions existent et sont d'ailleurs déjà mises en place dans certaines administrations proactives, elles se heurtent bien souvent à de sérieux obstacles. Par exemple, le déficit criant en médecins du travail ne permet pas d'assurer un suivi optimal des agents, notamment ceux soumis à la pénibilité. La fonction publique territoriale, par exemple, ne compte que 750 médecins de prévention (en équivalents temps plein), alors qu'il « en faudrait 1 000 pour que les employeurs respectent leurs obligations réglementaires ».
Difficile également dans ces conditions, de prendre en compte les maladies professionnelles dans la gestion de carrière des agents, avant qu'elles ne se développent. Il préconise donc de favoriser par un certain nombre d'assouplissements, les recrutements de médecins de prévention et de psychologues du travail, ce qui permettrait d'envisager la mise en place d'une visite médicale de prévention tous les trois ans à partir de 55 ans (qui serait obligatoire pour les métiers pénibles).
Communiquer et développer une culture de solidarité intergénérationnelle
Par ailleurs, avec, dès l'année prochaine et dans les 10 ans à venir, des départs à la retraite massifs de la génération des « baby-boomers », la fonction publique va connaître un véritable choc démographique. L'enjeu de la transmission des savoirs et des savoir-faire devient donc une question majeure. Connaître les métiers des trois versants de la fonction publique, les cartographier et s'appuyer sur une démarche prévisionnelle plutôt que de subir les évolutions démographiques est un préalable selon le rapport.
Mais il faut aussi institutionnaliser les pratiques de « tutorat » qui existent aujourd'hui dans certaines administrations (ex. infirmières en psychiatrie), mais pas dans toutes. Le tuteur pourra être un senior volontaire pour cette fonction qui coachera son équipe soit sur le mode individuel, soit sous la forme de cours collectifs. En outre, le tutorat pourra aussi être inversé : un agent plus jeune peut avoir un savoir ou une technicité qu'une personne plus âgée n'a pas. En effet, « les passerelles entre les âges de la vie peuvent se faire dans un sens comme dans l'autre ». La gestion managériale intergénérationnelle devra s'attacher à l'échange des savoirs et des expériences.
De même, une « campagne de communication » doit être menée dans la fonction publique, pour « valoriser le management intergénérationnel et lutter contre les stéréotypes qui pourraient exister ».
Enfin, le retard pris par la France s'explique aussi par la déficience de formation (initiale et continue) des cadres, en la matière. Le rapport souhaite donc que les actions de formation GRH proposées aux cadres intègrent la dimension « gestion des âges » et qu'à terme, des enseignements consacrés au management intergénérationnel deviennent obligatoires.
De manière générale, le rapport laisse le sentiment qu'il reste beaucoup à mettre en place. Reste donc à savoir si ce rapport débouchera sur des engagements concrets et quantifiés de la part des acteurs concernés. Le défi de gérer les étapes de la vie professionnelle des agents au regard de leur expérience et de leurs compétences, tout en assurant leur employabilité en répondant aux besoins évolutifs des services, n'est pas qu'une question technique. C'est une question éminemment politique. Il ne s'agit pas seulement de l'évolution naturelle de la durée de vie, mais comme il est dit en conclusion, de « contribuer aussi de manière concrète à construire l'administration du XXIe siècle (...) moderne et réactive tournée vers l'efficacité. Rien de moins ».
Pour aller plus loin :
- La gestion des âges dans la fonction publique : pour une administration moderne et efficace (rapport au Premier ministre, janvier 2012) à télécharger sur le site de la Documentation française.
- Sur le site de l'ENA : conclusions du colloque du 14 février 2012 « Comment mieux tirer parti de l'expérience et du potentiel des seniors dans le management public ? ».
1. Interview du député Pascal Brindeau - 24 février 2012, La Gazette des Communes, propos recueillis par Julie Krassovsky. source : emploipublic.fr
2. Fonction publique de l’État, territoriale (régions, départements, communes), et hospitalière et leurs établissements.
3. Selon le rapport, fin 2009, un tiers des agents de l'État et des collectivités territoriales et 27 % dans les hôpitaux avaient 50 ans et plus.
4. Interview du député Pascal (voir ci-dessus).
5. La gestion des âges dans la fonction publique : pour une administration moderne et efficace (rapport au Premier ministre, janvier 2012), 72 pages.
6. Selon le rapport.
7. Loi n° 2010-1330 du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites.
8. Fonction publique de l’État, territoriale (régions, départements, communes) ou hospitalière.
9. Crédit annuel de 20 heures de formation professionnelle utilisable au choix de l’agent pour accomplir certaines formations - Loi n° 2007-148 du 2 février 2007 relative à la modernisation de la fonction publique.
10. Loi n° 2009-972 du 3 août 2009 relative à la mobilité et aux parcours professionnels dans la fonction publique.
Sandrine BOTTEAU