Travailler au soleil, sur fond de paysages idylliques, avec en bonus, une rémunération « majorée », des droits à congés et retraite supplémentaires, des impôts minorés... il faut reconnaître que la situation des fonctionnaires dans les départements et régions d'outre-mer (Drom, ou plus communément DOM), les collectivités d'outre-mer (COM) et la Nouvelle-Calédonie a, vu ainsi, de quoi faire envie. Mais la réalité ressemble t-elle au tableau des cartes postales ? Présentation.
Quelle est l’origine des « sursalaires », indemnités d'installation, congés bonifiés, retraite majorée et autres avantages multiples historiques ?
Dans les années 50, les conditions de vie dans les territoires ultra-marins étaient difficiles, les infrastructures essentielles (écoles, établissements médicaux et hospitaliers...) faisant défaut et les produits manufacturés étant rares et onéreux, le coût de la vie était particulièrement cher par rapport à celui de la métropole.
Pourtant la fonction publique de ces territoires devait recruter et renforcer les effectifs notamment, de cadres. Aussi, pour attirer les métropolitains et les jeunes diplômés locaux, un dispositif de majoration de la rémunération a été mis en place par la loi du 3 avril 1950 accompagné d'un certain nombre d'autres avantages financiers et en nature.
À l'heure actuelle, les fonctionnaires mutés en Outre-Mer bénéficient d'une « sur-rémunération », qui peut atteindre 40 % en Martinique, Guadeloupe, Guyane et à Mayotte et 53 % à La Réunion. Ces primes peuvent en outre, accroître, dans une certaine mesure, les droits à la retraite (cf. ci-dessous), puisqu'elles sont assujetties aux cotisations au RAFP (Retraite additionnelle de la fonction publique), dans la limite d'un plafond de 20 % du traitement indiciaire.
Des avantages devenus trop « coûteux » pour les pouvoirs publics et les acteurs économiques ?
Des avantages qui pèsent dans le budget des pouvoirs publics…Au sein de la fonction publique de l’État, la croissance des effectifs affectés outre-mer (+ 9 % entre 2012 et 2020) s’est traduite par une augmentation plus de trois fois supérieure du coût des compléments de rémunération pour le budget de l’État (+ 28%), pour atteindre un budget global de
1,511 M€ en 2020 pour les seuls fonctionnaires de l’État et les militaires, selon le rapport de la Cour des comptes sur les compléments de rémunération des fonctionnaires ultra marins rendu au mois de juin 2023.
Depuis les années 2000, les rapports se multiplient, chacun s’accordant à dire que ces avantages, entre autres, freinent, en ce qui concerne les agents publics, leur mobilité et leur avancement de carrière :
- le coût du droit au « congé bonifié » (cf. ci-dessous) s'avère parfois être un élément de disqualification à l'embauche et à la mobilité en métropole pour les fonctionnaires ultramarins,
- le poids de la « majoration » entraînant un niveau de dépenses de personnel très élevé, ralentit les avancements de grade et de promotion dans le département d'origine des agents et crée aussi un déficit de personnel encadrant (A et A+),...
Déjà en 2015, la Cour des comptes voulait refondre ce dispositif devenu complexe, « mal mesuré sur le plan budgétaire » et source de dérive.
Des situations vécues comme « injustes » et « inéquitables » pour les agents publics
De plus, ces bonus créent des injustices. Les « sur-rémunérations » par exemple, instaurent, une disparité de traitement entre les fonctionnaires métropolitains et ceux en poste outre-mer ; et créent par ailleurs, de fortes distorsions entre les agents titulaires et non-titulaires d'une même administration.
En effet, les textes ouvrent ces avantages aux seuls « fonctionnaires titulaires » (recrutés par concours), les non-titulaires ne sont pas a priori concernés et le principe veut que, la rémunération des non-titulaires soit fixée contractuellement. La rémunération est donc fixée « par référence » à celle que percevrait un fonctionnaire qui assurerait les mêmes fonctions à niveaux de qualification et d'expérience professionnelle équivalents. Face à cette grande latitude, les administrations recrutent encore, et souvent plus de contractuels pour « moins cher » et tardent à les titulariser. Certains agents conservent donc leur statut précaire pendant des années, sans pouvoir accéder aux garanties de la fonction publique.
A cela, s'ajoutent d'autres reproches : ces avantages seraient la cause de l'image peu gratifiante des fonctionnaires auprès des populations locales (manque de légitimité, d'efficacité) ; entraîneraient un niveau de dépenses de personnel très élevé (de + 10 % en moyenne par rapport aux autres collectivités de l'Hexagone) et seraient à l'origine de la situation financière préoccupante des administrations d'outre-mer (dette importante, manque d'investissement du secteur privé...). Or, ces dernières sont les principaux employeurs, dans ces territoires où le chômage, et notamment celui des jeunes, reste élevé et le niveau d'investissement faible.
C’est pour ces raisons que depuis 2009, le gouvernement cherche à revaloriser l'image des fonctionnaires ultramarins auprès des populations locales.
« Sur-rémunération », réduction d'impôt, primes de sujétion géographique, congés bonifiés, bonifications de retraites,… De quel régime « adapté » au contexte ultramarin parle t-on depuis 2022 ?
« Sur-rémunération », réduction d'impôts…
Statutairement, la rémunération (salaire) du fonctionnaire est fixée « en fonction du grade de l'agent et de l'échelon auquel il est parvenu, ou de l'emploi auquel il a été nommé ». Cette rémunération « comprend le traitement, l'indemnité de résidence, le supplément familial de traitement ainsi que les indemnités instituées par un texte législatif ou réglementaire » et doit respecter le principe de parité entre les fonctions publiques (article L712-1 du code général de la fonction publique).
Sur ce dernier point, cela signifie que les employeurs de la territoriale et de l'hospitalière ne peuvent attribuer à leurs agents des rémunérations (ou des avantages équivalents) qui excéderaient ceux auxquels peuvent prétendre les agents de l'État occupant des fonctions ou ayant des qualifications équivalentes.
Avec la loi du 3 avril 1950, en raison de la « vie chère » dans les DOM, il est fait dérogation à ce principe. Destiné, au départ, aux seuls fonctionnaires de l'État originaires de métropole, ce régime a été progressivement étendu à la quasi-totalité du secteur public.
Enfin, une réduction de 30 % de l'impôt sur le revenu (40 % en Guyane) a été appliquée initialement aux fonctionnaires puis étendue à l'ensemble de la population des DROM.
Cependant, depuis le 1er janvier 2019, l’avantage de la « réduction DROM 30% » ne peut pas dépasser une réduction d’impôt de 2 450 € (au lieu de 5 100 € avant 2019) et l’avantage de la « réduction DROM 40% » 4 050 € (contre 6 700 € avant 2019).
Primes de sujétion géographique…
Autre avantage touché : les primes « d’éloignement » et celles « d’installation ». Historiquement, comme il fallait plus de trois semaines de bateau pour se rendre de métropole à la Réunion en 1950, le régime de rémunération des Domiens a été aménagé et ont été instituées des primes permettant notamment, à l’agent de faire face aux frais de son arrivée sur le territoire d’outre-mer et aux membres de sa famille de le rejoindre.
Un dispositif de primes critiqué notamment en raison de son coût, qui disparaît peu à peu, à l’instar de « l'indemnité particulière de sujétion et d'installation » (IPSI) abrogée et remplacée en 2013, par « l'indemnité de sujétion géographique » (ISG) en faveur des fonctionnaires de l'Etat pour leur affectation en outre-mer, Mayotte compris. Compte-tenu du principe de parité du régime indemnitaire entre les trois fonctions publiques, cette prime est transposable à la fonction publique territoriale et à la fonction publique hospitalière, sous condition qu'elle soit adoptée par le conseil délibérant et que la correspondance entre les grades soit établie. Le montant de l’indemnité de sujétion attribuée en Guyane, par exemple, est compris entre 10 et 20 mois du traitement indiciaire de base de l’agent.
…Congés bonifiés moins longs mais désormais tous les deux ans
Selon le Statut, pour un an de service accompli (du 1er janvier au 31 décembre), le fonctionnaire a droit à des jours congés dont le nombre est égal à 5 semaines pour un temps plein. Ce sont les « congés annuels ». Le congé bonifié s'ajoute aux congés annuels et offre aux fonctionnaires, originaires des départements d'outre-mer (DOM) exerçant dans l'Hexagone, la possibilité d'effectuer périodiquement un séjour dans leur département d'origine.
Un bonus réformé en 2020. Actuellement, l'agent a droit à un congé supplémentaire de 31 jours tous les 2 ans (et non plus de 65 jours tous les 3 ans comme avant 2020) avec « prise en charge » (sous conditions) par son employeur, de ses frais de voyage (pour lui et sa famille) et d'une indemnité de « vie chère ».
Le régime des congés bonifiés permet aux agents publics concernés de bénéficier d’une prise en charge de leurs frais de voyage, pour se rendre sur leur « lieu de résidence habituelle », c’est-à-dire sur le lieu où se trouve le « centre de leurs intérêts moraux et matériels » (CIMM). Pour cela, le fonctionnaire doit parfois répondre à un questionnaire, prouver le domicile de ses père et mère, la propriété ou la location de biens immobiliers, le domicile avant l'entrée dans l'administration, le lieu de naissance...
Durant ce congé, les agents voient leur traitement majoré soit par l’indemnité de cherté de vie dans les départements d’outre-mer, soit par un coefficient de majoration dans les collectivités d’outre-mer ou en Nouvelle-Calédonie pour prendre, notamment, en compte le coût de la vie dans les collectivités ultramarines. Dans tous les DROM, elle s’élève à 40 % sauf à la Réunion où elle est de 35 %.
…Et bonifications de la retraite…Des avantages réformés mais toujours présents
Autre spécificité ultramarine : la bonification de la retraite fonctionnaire. Pour chaque période de 3 ans passés en outre-mer (DROM et COM), un fonctionnaire reçoit 1 an de bonification de sa durée d'assurance. Cette bonification ne compte pas dans la période de 15 à 17 ans que les fonctionnaires de service actif doivent accomplir pour partir à la retraite plus tôt, ni pour la surcote. Elle ne bénéficie pas aux personnes originaires du territoire en question.
Par ailleurs, à certaines conditions, les retraités de la fonction publique d'État pouvaient percevoir une « l'indemnité temporaire de retraite » (ITR), dite aussi « sur-pension », lorsqu'ils résidaient dans certains territoires d'outre-mer (La Réunion, Mayotte, Saint-Pierre-et-Miquelon, Nouvelle-Calédonie, Wallis-et-Futuna et Polynésie française). Pour y avoir droit, il fallait justifier de 15 ans de services effectifs dans 1 ou plusieurs collectivités dans les territoires éligibles, ou remplir les critères nécessaires pour bénéficier du régime particulier de « congés bonifiés » dans le territoire en question (par exemple, en être originaire). L'indemnité temporaire de majoration de pension était fixée à 35 % à La Réunion, 35 % à Mayotte, 40 % à Saint-Pierre-et-Miquelon et 75 % à la Nouvelle-Calédonie, Wallis-et-Futuna et Polynésie française.
Mais ce dispositif va s'éteindre progressivement. Pour les fonctionnaires retraités avant 2009, l'indemnité temporaire de retraite est gelée à son niveau de 2008. Depuis 2018, elle ne peut plus dépasser 10 000 € à La Réunion, Mayotte et Saint-Pierre-et-Miquelon et 18 000 € pour la Nouvelle-Calédonie.
Quelles mesures en cours pour une revalorisation de l'image des fonctionnaires ultramarins et favoriser l’emploi en Outre-Mer ?
Reste que ces primes et autres avantages vieux de plus d’un demi-siècle ont notamment, pour conséquence de provoquer régulièrement des tensions sociales diverses, tant le décalage entre le personnel concerné et le reste de la population est important.
A l'issue des États généraux et du Conseil interministériel de l'outre-mer de 2009, le gouvernement a décidé de proposer des réformes visant à redéployer la dépense publique outre-mer afin de permettre de redonner des marges de manoeuvre aux administrations ; à améliorer les conditions de recrutement et d'emploi des agents de la fonction publique outre-mer.
Et en 2017, de nouvelles dispositions pour faciliter la mobilité des fonctionnaires ultra-marins ont été promulguées suite à l’adoption des lois portant sur la déontologie des fonctionnaires (avril 2016) et sur l’égalité réelle Outre-mer. Symbole de ces mesures : le centre des intérêts matériels et moraux (CIMM) devient une priorité légale d’affectation pour tous les fonctionnaires de l’État, leur permettant de rentrer, s’ils le souhaitent, en priorité sur leur territoire d’origine, mais également de pouvoir partir et revenir.
En 2018, 25 % des mutations vers les territoires d'outre-mer ont été effectuées en application de cette priorité légale d'affectation, liée à la justification d'un CIMM. 75 % des demandes de mutation vers les outre-mer au titre de cette justification ont été acceptées (soit 734 dossiers sur 971).
Au-delà des mutations qui permettent le retour vers les territoires ultramarins, le gouvernement travaille également à la mise en place de concours nationaux à affectation locale, de manière à rendre possible l'adaptation des politiques de recrutement aux besoins des territoires.
Comment rendre plus attractif les emplois publics outre-mer en 2023 ?
Enfin, il reste un dernier constat…loin de l’image de carte postale du fonctionnaire travaillant à l’ombre d’un cocotier. Le mode de vie dans les territoires ultramarins comporte toujours des difficultés : éloignement et isolement, sécurité, accès au logement, scolarisation des enfants, système de santé et accès aux soins, emploi du conjoint, etc....Fort de cela, le manque d’attractivité des affectations ultramarines persiste.
Soucieuse de mettre en place des actions complémentaires au-delà des incitations financières, la direction générale des outre-mer (DGOM) a préparé une « charte interministérielle de la mobilité » dont la dernière version date de juin 2022. Transmise aux ministères employeurs, elle comprend une série d’engagements ayant l’ambition de traiter ces différentes composantes de l’attractivité. Pour le moment restée au stade de projet, cette initiative pourrait être, comme le recommande la Cour des comptes dans son rapport de 2023, une première réponse interministérielle au développement de l’attractivité des emplois publics outre-mer, sans les impacts négatifs du levier financier.
Gageons que ces mesures puissent être au service d'un avenir meilleur pour le plus grand nombre.
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