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Juniors, seniors dans la Fonction Publique... quand les talents doivent s'exprimer
août 2012
Depuis toujours, les managers des trois fonctions publiques doivent faire travailler ensemble des équipes plurielles : agents de catégories A, B, C, agents administratifs ou techniques, titulaires et contractuels, juniors (génération Y, nés à partir des années 80)et seniors (génération des Baby-boomers)...
Juniors, seniors dans la Fonction Publique... quand les talents doivent s'exprimer !
Depuis toujours, les managers des trois fonctions publiques[1] doivent faire travailler ensemble des équipes plurielles : agents de catégories A, B, C[2], agents administratifs ou techniques, titulaires[3] et contractuels, juniors (génération Y, nés à partir des années 80)[4] et seniors (génération des Baby-boomers)... S'agissant des deux dernières typologies, il est à noter que le contexte sociétal et la configuration des effectifs ont considérablement changé ces dernières années ; avec l'allongement du temps de travail, les agents de plus de 50 ans, titulaires ou non, représentent désormais plus d'un tiers des effectifs de la fonction publique (versus 20 % dans le secteur privé), et d'ici 2015, 40 % des actifs seront issus de la « génération Y ».
Le secteur ressources humaines se voit donc dans l'impérieuse nécessité de s'emparer de cette nouvelle problématique liée à la « gestion des talents »[5] de ces agents qui ont une culture métier et générationnelle différente et qui sont trop souvent discriminés, pour en faire non plus une contrainte mais une force.
Côté « jeunes générations », la fonction publique doit trouver les arguments pour éviter une fuite de jeunes cadres talentueux vers le secteur privé, et côté « seniors », ils doivent de sentir utiles et valorisés.
Pour assurer une gestion harmonieuse des relations intergénérationnelles, les actions de tutorat, basées sur le volontariat, sont à préconiser. Au final, les valeurs perçues comme l'apanage des nouvelles générations - confiance, équilibre vie professionnelle/vie personnelle - revivifient les valeurs traditionnelles de la fonction publique.
Un dépoussiérage nécessaire de l'organisation de la Gestion Ressources Humaines dans la fonction publique
Depuis quelques années déjà, les agents qui intègrent la fonction publique appartiennent à la « génération Y » et font couler beaucoup d'encre. Dans le monde du travail, cette nouvelle catégorie est souvent décrite comme individualiste, confondant savoir et compétence, ne tenant pas toujours compte du rôle de l'expérience et de l'échec, mais paradoxalement plus solidaire, cherchant un équilibre vie professionnelle/vie personnelle et développement personnel.
Confrontés à ces nouveaux comportements, les recruteurs publics ont donc dû ces dernières années dépoussiérer leurs méthodes. Le secteur public se devait de prouver qu'il n'est pas une administration sclérosée, composée de fonctionnaires sans ambition. Ainsi, les 400 concours d'entrée ont été revus afin de rester attractifs : diminution des épreuves, augmentation des cas de mise en situation... Parallèlement, de nouveaux dispositifs de recrutement ont vu le jour comme par exemple le PACTE[6], la fonction publique ayant également remanié les modalités pratiques de la première prise de poste (mise en place de tuteurs référents...).
Sans tomber dans une caricature de la « génération Y », il est à constater qu'elle a de fortes attentes du monde professionnel, et qui sont très différentes de celle qui la précède. Finie la génération qui se voyait faire carrière dans la même administration toute sa vie. Étudiants, ces jeunes ont entendu leurs aînés leur répéter qu'il leur serait difficile de s'insérer sur le marché de l'emploi et impossible de conserver un poste durant quarante ans. Les 18-30 ans se sont donc adaptés à ce nouveau marché du travail et sont donc devenus mobiles[7]. Cette génération du zapping a intégré le fonctionnement d'Internet, la rapidité des flux et l'usage des réseaux sociaux. « Les Y » n'arrivent donc pas dans la fonction publique par hasard, ils ont fait le choix du service public. En retour, ils proposent des nouvelles règles de collaboration, fondées sur le partage, les communautés, la convivialité et réclament une approche plus personnalisée de leur gestion.
Or, quelle que soit la fonction publique, (d'État, territoriale ou hospitalière) la vie professionnelle des fonctionnaires s'organise selon le principe de « carrière »[8]. Leur progression s'opère lors d'« avancement d'échelon » ou d'« avancement de grade », à l'ancienneté et par examen professionnel. Autant dire qu'avec l'arrivée de la « génération Y », cette gestion des carrières dite « linéaire », à l'ancienneté, semble avoir vécu.
Côté management, sans tomber là encore dans les stéréotypes, les Y ont tendance à reconnaître le manager par ses compétences et non par sa position hiérarchique ; ils attendent de lui alors qu'auparavant c'était l'inverse. Ils forcent donc le changement de l'organisation administrative souvent basée sur une colonne vertébrale hiérarchique plus forte, bâtie par les « Baby-boomers ».
Entre les deux, se trouve la génération X née entre 1965 et 1980. Flexibles et patients, les agents entre 30-45/50 ans ont appris à construire leur réseau interne et externe pour progresser et construire leur parcours.
Les personnes nées après la seconde guerre mondiale, se présentent (secteur privé ou public) différemment : ils respectent une organisation qu'ils considèrent comme la raison d'être de la survie de la collectivité ou l'administration, ils estiment que leur expérience leur donne du recul et le droit de juger de qui est bon pour l'administration (pour ce qui est des agents publics) et pour eux. Dénigrés il y a une dizaine d'années et fortement poussés à partir en « préretraite »[9], les seniors sont appelés aujourd'hui à se maintenir en activité, car ils constituent le socle sur lequel une fonction publique qui se veut moderne, doit savoir s'appuyer.
Dès lors, comment faire cohabiter ces trois générations, dans un contexte où la fonction publique ne peut se passer des talents ni des uns, ni des autres ?
Les défis de la gestion intergénérationnelle des agents publics
La France, comme c'est également le cas dans de nombreux pays, voit l'espérance de vie s'accroître. Toutefois, elle n'a pas anticipé aussi rapidement que ses voisins européens les transformations en matière de gestion des « seniors ». Elle ne connaît qu'un taux d'emploi des 55-64 ans de 38 %, alors qu'il est de 46 % dans l'Union européenne et supérieur à 50 % dans bon nombre de pays européens (53 % aux Pays-Bas, 58 % au Royaume-Uni, 70 % en Suède[10]). Autre constat : « Un tiers des fonctionnaires prendra sa retraite dans les dix années à venir »[11]. La fonction publique se trouve donc face à un sérieux problème de transmission des connaissances et des savoir-faire.
Il est donc urgent que les protagonistes, de générations différentes et qui cohabitent professionnellement puissent avoir des échanges organisés de nature à transmettre la culture de fonction publique : connaissance, expertise, compétences, savoir-faire acquis par les plus anciens tout au long de la carrière... afin de maintenir un service public efficace et que les processus qui fonctionnent (souvent non écrits) ne soient pas perdus au départ à la retraite de l'agent.
Pour ce faire, les mentalités sur l'âge doivent changer dans la fonction publique. Sans que les pouvoirs publics puissent « être en mesure de vérifier les préjugés qui existent sur la gestion des seniors/juniors à défaut de statistiques précises »[12], les formes de discrimination, de ségrégation, de mépris fondées sur l'âge (« âgisme » ou « jeunisme ») peuvent se traduire par des comportements plus ou moins conscients (attribution d'une tâche à un plus jeune, « oubli » de l'informer...) et conflictuels : rivalités, préjugés (« le senior n'est plus dans le coup »), tensions, incompréhension mutuelle...
Pourtant, à en croire certaines enquêtes[13], d'une part, les jeunes sont prêts à apprendre de leurs aînés : 86 % des jeunes interrogés reconnaissent qu'être formés par un collègue beaucoup plus âgé permet « d'acquérir une expérience et un savoir-faire inégalables ». D'autre part, les fonctions de senior tuteur valoriseraient l'expérience de l'agent sur le départ[14].
Aussi, pour rendre possible la cohabitation junior/senior dans la fonction publique, on comprend qu'il « suffit » de se rappeler des règles théoriques les plus basiques de management : le manager s'adapte à ses équipes et pas le contraire ! Cependant dans la réalité, l'équilibre entre les valeurs traditionnelles du service public (neutralité, devoir de réserve, obéissance hiérarchique...) et la diversité que requiert la valorisation du talent et des potentiels est précaire : idéalement, les plus talentueux ne doivent pas être brimés par une norme, définie pour la moyenne, qui les ralentirait.
Pour la gestion des ressources humaines comme de la diversité culturelle, il conviendrait de trouver le bon équilibre entre le respect et la valorisation des particularismes et la nécessité d'un cadre, un référentiel commun. Autrement dit, pour utiliser les talents des jeunes et des plus âgés, la fonction publique doit changer son modèle managérial et organisationnel sans pour autant renier ses valeurs.
Favoriser la cohabitation et l'intégration de ces deux générations : une démarche « gagnant/gagnant »
Le manager doit jouer ici un rôle essentiel :
- dans le maintien de l'engagement professionnel des seniors, diverses études montrent que la perception qu'ont les agents de leur état de santé dépend directement de la qualité de leurs relations avec leur encadrement et leurs collègues. Il doit donc soutenir ces agents. Une enquête menée par le Centre départemental de gestion de l'Isère auprès d'agents de plus de 50 ans, des collectivités de ce département, démontre « que 69 % des agents qui se sentent soutenus par leur responsable ou par leur équipe souhaitent se maintenir en activité ». Il est également important que le manager sache reconnaître leur expérience, leu employabilité et donner du sens à leurs missions,
- pour les juniors, le manager doit leur consacrer du temps : les écouter, les valoriser (rémunération comprise), les impliquer s'il veut obtenir des résultats positifs. Cela peut se traduire par des mesures personnalisées concernant son temps de travail (horaires, télétravail), la possibilité de bénéficier d'un compte-épargne temps (CET)[15], du droit individuel à la formation (DIF) pour se former tout au long de leur carrière...
Pour aider les managers, le législateur est intervenu et des outils ont été créés. Ainsi, la loi du 3 août 2009 relative à la mobilité et aux parcours professionnels[16] a mis en place une série de mesures utiles telles que la création du statut d'expert de haut niveau, la mise en place de l'entretien annuel professionnel, l'instauration de la prime de fonctions et de résultats, l'élaboration des plans de gestion prévisionnelle des ressources humaines, ou encore la généralisation du conseil en mobilité-carrière dans les services de l'État.
Afin d'instaurer une cohabitation harmonieuse entre leurs jeunes agents et les baby-boomers, certaines administrations ont déjà revu leur organisation interne du travail et intégré cette gestion des âges dans leur politique des ressources humaines. Après avoir fait un travail de reconnaissance des identités et des potentiels, certaines ont opté pour la constitution d'équipes de travail mixtes mêlant les jeunes et les seniors, ou pour la mise en place de binôme junior/senior afin de les valoriser et faire de la diversité un facteur de création et d'innovation. Le recours aux systèmes de parrainage, de « tutorat » ou aux programmes de « mentorat » gagne également du terrain avec une formation préalable des tuteurs. Ainsi, pour éviter le choc des générations, la Caisse des dépôts et consignations (CDC) a signé en 2010, un accord en faveur de l'emploi des seniors valorisant le tutorat des nouveaux arrivants par les seniors. Les fonctions de formateurs et de tuteurs, basées certes sur le volontariat, sont prises en compte dans le temps de travail et dans l'entretien annuel par le management. Les seniors se voient proposer des formations de « tuteur occasionnel », et les savoirs et savoir-faire qui risquent d'être perdus sont transcrits dans des « fiches techniques et des fiches de procédures »[17]. L'objectif est triple : faciliter l'intégration des jeunes arrivants, valoriser l'expérience des seniors et permettre la transmission de leurs compétences et du savoir-faire.
La démarche de coopération s'inscrit véritablement dans un rapport « gagnant-gagnant ». Les seniors apportent aux jeunes leur connaissance de la culture de la fonction publique, leurs expériences ; les juniors, en retour, partagent avec leurs aînés leur maîtrise des technologies de l'information par exemple. Cet échange basé sur la réciprocité et la complémentarité a pour avantage de valoriser les deux parties, d'instaurer un équilibre et de qualifier et professionnaliser à la fois les personnels jeunes et plus âgés.
Optimiste ? En tout cas, la fonction publique a pris conscience qu'elle doit moderniser son mode de fonctionnement et veut se montrer exemplaire dans sa capacité à lutter contre toute discrimination et notamment celle liée à l'âge. Elle est donc capable, si elle s'en donne les moyens de relever ce défi, à l'instar de ce qui se dessine actuellement dans le secteur privé[18]. L'enjeu pour la FP est de taille. Sans vouloir stéréotyper ces deux générations, la réussite de leur cohabitation et leur intégration sont nécessaires pour une fonction publique plus solide et « qui se veut à l'image de la société qu'elle sert »[19].
Pour aller plus loin :
Lettre du cadre territorial, n° 415, 1er février 2011, « Le jeune fonctionnaire cet étrange animal »
Lettre du cadre territorial, n° 438, 1er mars 2012, « Jeunes cadres territoriaux : comment utiliser leurs talents ? »
Gazette des communes, p.66, 30 avril 2012 « Fins de carrière : ne pas laisser les seniors sur le bord de la route »
Revue n° 38 - septembre 2011 de La collection des « Perspective Gestions Publiques » publiée sur le portail de l'IGPDE à l'adresse suivante : www.institut.minefi.gouv.fr (onglet : Recherche et publication/Gestion publique à l'international)
« La gestion des âges dans la fonction publique : pour une administration moderne et efficace », Rapport au Premier ministre, janvier 2012, Pascal Brindeau
[1] Etat, territoriale (régions, départements, communes), et hospitalière ainsi que leurs établissements.
[2] Les fonctionnaires des 3 fonctions publiques appartiennent à des cadres d'emplois (ou corps). Un cadre d'emplois (ou corps) selon le statut général « regroupe les fonctionnaires soumis au même statut particulier, titulaires d'un grade leur donnant vocation à occuper un ensemble d'emplois ». La loi précise que les cadres d'emplois sont répartis en catégories hiérarchiques, désignées, en ordre décroissant, par les lettres A, B, C :
- A : fonctions de direction et de conception (niveau Bac+3) ;
- B : fonctions d'application/de maîtrise (niveau Bac ou Bac+2) ;
- C : fonctions d'exécution (sans condition de diplôme ou BEP, BEPC, CAP).[3] Après recrutement - en principe par concours - l'agent est placé en période stage et à l'issue de ce dernier il devient fonctionnaire et est « titularisé ». Celui qui n'est pas recruté par concours est appelé « non titulaire » (ex. contractuel).
[4] Le concept de « Génération Y » fait référence aux personnes nées entre 1980 et 1995. Cette tranche d'âge succède à la génération X (1960-1980) et aux « Baby Boomers » (1945-1960).
[5] La gestion des talents consiste à s'assurer que les agents occupent un emploi qui correspond à leurs aptitudes, à leurs compétences et à leur plan de carrière.
[6] Parcours d'accès aux carrières territoriales, hospitalières et de l'Etat : mode de recrutement, ans concours, des agents de catégorie C.
[7] Le succès du programme d'Erasmus en témoigne
[8] cf. Le Statut général de la Fonction publique
[9]Par exemple, il existait le dispositif de « cessation progressive d'activité » (CPA).
Aménagement d'une transition entre l'activité et la retraite, l'agent travaillait à temps partiel en bénéficiant d'une rémunération supérieure à celle correspondant à la durée du temps de travail effectuée. Il est supprimé depuis le 1er janvier 2011.[10] Rapport au Premier ministre, janvier 2012, Pascal Brindeau
[11] Rapport au Premier ministre, janvier 2012, Pascal Brindeau
[12] Cf. Le Défenseur des Droits (ex HALDE) http://defenseurdesdroits.fr/ pour des exemples de discrimination liés à l'âge dans l'emploi
[13] Enquête Ipsos/CGPME/Planète PME réalisé en mai 2005
[14]Gazette des communes, p.66, 30 avril 2012, « Fins de carrière : ne pas laisser les seniors sur le bord de la route »
[15] Le compte épargne temps (CET) permet à l'agent d'épargner des temps de repos (congés, jours de repos ...) en vue d'une utilisation ultérieure
[16] Loi n° 2009-972 du 3 août 2009 relative à la mobilité et aux parcours professionnels dans la fonction publique
[17] source : Rapport au Premier ministre, janvier 2012, Pascal Brindeau
[18] Le nouveau Gouvernement entend mettre en place dès septembre 2012 un « contrat de génération » dans le secteur privé. Le dispositif consisterait en la conclusion d'un contrat entre l'employeur et deux de ses salariés : un jeune, de moins de 30 ans et un senior, de plus de 55 ans. Par ce contrat l'entreprise s'engagerait à former le jeune salarié en recourant à l'expérience du salarié senior.
[19] Discours prononcé le 21 juin 2011 par François Baroin, Secrétaire général des ministères économique et financier à Berçy - Rencontres internationales de la gestion publique n°10
Sandrine BOTTEAU