Un sujet qui peut faire l'objet de nombreuses questions tant lors des épreuves de conversation avec le jury, que des compositions de culture générale de différents concours administratifs. Un point juridique sur cette problématique sensible s'impose.
La stérilité étant sentie comme une malédiction (économique) dans les sociétés primitives, la stratégie familiale sut très tôt, à défaut de procréation artificielle, employer l'artifice pour détourner de son cours la procréation naturelle. Saraï, qui se croit stérile, appliquant une coutume mésopotamienne, jette son mari Abram dans les bras d'Agar sa servante[1]. Aujourd'hui, les sciences biomédicales permettent l'intervention de la médecine dans le domaine, autrefois si sacré, de la procréation humaine. De nouvelles techniques proposent aux couples stériles une assistance médicale à la procréation. Elles sont réalisées à l'intérieur du couple[2] ou avec l'aide de forces génétiques d'une tierce personne[3]. La procréation médicalement assistée avec donneur comprend deux techniques médicales : la plus connue est la fécondation in vitro, qui consiste à féconder un ovule en laboratoire avant de l'implanter dans l'utérus de la femme. La seconde est l'insémination artificielle, réalisée à l'aide du sperme du donneur afin de remédier à la stérilité masculine. Dans les deux cas, l'intervention du donneur prend la forme d'un don anonyme - à personne indéterminée - de gamètes masculin ou féminin ou d'embryons[4].
Ces techniques de procréation médicalement assistée avec donneur soulèvent des inquiétudes et des interrogations. Elles posent la question du statut familial de l'enfant : doit-on stigmatiser l'enfant ou au contraire le traiter comme un enfant naturellement procréé. Quelle est la place de l'enfant au sein de cette relation particulière née de trois personnes : le père, la mère demandeurs et le tiers donneur ?
Elles ravivent la question de la place du biologique dans l'établissement de la filiation et celle de la connaissance des origines de l'enfant. La filiation de l'enfant issu d'une PMA[5] est un sujet plus large qu'il n'y paraît. Au-delà de l'exposé des règles relatives à la filiation de l'enfant issu d'une PMA avec donneur (I), il mérite que soit abordée la question de l'accès aux origines de l'enfant issu d'une PMA avec donneur (II).
I. Une filiation affective imposée
A. Une filiation affective obligée
L'enfant a juridiquement pour père et mère le couple demandeur, la PMA s'efface sans laisser de trace dans l'état de l'enfant, sauf à en laisser éventuellement dans son dossier médical. La filiation de l'enfant issu d'une PMA exogène est établie par le jeu des règles classiques de la filiation. Ainsi, l'inscription du nom de la mère dans l'acte de naissance de l'enfant suffira à établir sa filiation maternelle, tandis que sa filiation paternelle sera établie par le jeu de la présomption de paternité ou par reconnaissance. La filiation n'est pas établie de plein droit, elle repose sur une démarche volontaire : on peut penser que le couple demandeur s'empressera d'établir la filiation de l'enfant. Si l'homme s'y déroberait, il engagerait sa responsabilité envers la mère et l'enfant[6], et sa paternité pourrait être judiciairement établie[7]. Quant aux effets personnels et patrimoniaux de la filiation de l'enfant issu d'une PMA exogène, ils sont les mêmes que ceux d'un enfant naturellement procréé.
B. Une filiation affective définitive
La similarité des règles applicables à l'enfant issu d'une PMA exogène et à l'enfant naturellement procréé se limite aux seuls modes d'établissement de la filiation. Le consentement donné à une PMA s'accommode mal avec une possible contestation de la filiation. C'est pourquoi le législateur de 1994 interdit toute action aux fins de contestation[8]. La filiation devient alors définitive, à moins que le consentement ne soit privé d'effet[9], notamment en cas de décès, divorce ou de révocation du consentement[10]. Les règles de la filiation de l'enfant issu d'une PMA avec donneur sont à l'évidence conçues sur l'intérêt du couple au détriment de la considération de l'intérêt de l'enfant. C'est un droit en marge qui inscrit la filiation de l'enfant dans une logique de secret auquel il ne peut arriver, sauf si les tests génétiques font voler en éclat le système.
II. Une filiation biologique interdite
A. Une filiation biologique interdite Les textes[11] sont clairs :
aucun lien de filiation ne peut être établi entre l'enfant et le tiers donneur[12]. L'anonymat du don est assorti de l'interdiction d'établir juridiquement la filiation biologique. Réciproquement, aucune action en responsabilité ne peut être exercée à son encontre[13]. Cette rupture du schéma traditionnel de la filiation, qui veut que la filiation biologique soit la filiation juridique, permet d'assurer la paix des couples, des donneurs et des familles des couples et des donneurs.
B. Une filiation biologique méconnue
1. La règle de l'anonymat du don L'anonymat du don est issu d'une réflexion qui débuta avec les CECOS[14] dont le premier fut créé en 1973 à l'initiative du professeur Georges David[15]. Ces centres d'études ont rendu officiel un nombre de règles éthiques telles que la gratuité et l'anonymat du don afin de réguler la recherche de la procréation biomédicale. Le don est anonyme : l'identité du donneur n'est pas révélée au couple demandeur, et inversement. Ce principe permet d'éviter une relation délicate entre donneur et receveur, et assure la nécessaire garantie de l'avenir de la pratique et de l'organisation sociale. Consacré par deux lois bioéthiques du 29 juillet 1994[16], le principe de l'anonymat[17] est aujourd'hui remis en cause. En effet, depuis quelques années, des « enfants » issus de PMA avec donneur font entendre leur voix pour que l'on reconnaisse leurs droits à connaître l'identité de leur géniteur. Le fondement de leur demande varie : tantôt c'est le droit de connaître, dans la mesure du possible, leurs parents et d'être élevé par eux, qui est réclamé[18], tantôt c'est le droit à connaître leurs origines qui est invoqué[19]. Si la situation semble aujourd'hui interpellante, elle doit être relativisée : des chiffres révèlent que depuis la création du premier CECOS en 1973, sur environ 50 000 enfants issus d'une PMA avec donneur, seuls 25[20] ont mené de véritables recherches sur l'identité de leur géniteur.
2. La remise en cause de l'anonymat du don Le maintien de l'anonymat s'avérerait être le moins pire des maux à comparer les problèmes que susciterait sa levée. Son utilitarisme n'est plus à démontrer. Véritable manifestation de la solidarité collective, l'anonymat préserve l'équilibre familial, et limite les risques de pénurie et d'exploitations mercantiles ou de trafics[21]. L'enseignement tiré des pratiques de pays voisins conforte le choix du maintien de l'anonymat. L'Allemagne qui refuse l'anonymat dans sa législation, est allée jusqu'à admettre la paternité du donneur à l'égard de l'enfant. La pratique révèle que les médecins allemands refusent aujourd'hui de dévoiler l'identité du géniteur afin d'éviter ces situations extrêmes. La Suède, qui offre la possibilité à l'enfant majeur de connaître l'identité de son donneur, ne fait état d'aucune étude sur les conséquences de ce choix.
Pourtant, en juin 2006, une proposition de loi[22] dite « du double circuit » offre aux donneurs et aux parents légaux le choix entre un don anonyme et un don personnalisé. Cette proposition semble constituer une démarche pragmatique car elle permet un consensus entre opposants et partisans de l'anonymat. Mais il faut garder à l'esprit qu'il faudra gérer les problèmes occasionnés par la levée de l'anonymat. Au-delà des inconvénients d'organisation qu'elle présente[23], elle rompt le socle éthique des dons d'éléments humains qui a guidé toute l'éthique française. De surcroît, elle ne répond pas à la souffrance des enfants issus d'une PMA avec donneur : en effet, la proposition de loi offre une alternative aux seuls donneurs et parents, à l'exclusion des principaux intéressés : les enfants. Enfin, la proposition fait jaillir la délicate question de l'inégalité entre l'enfant qui aura accès à ses origines, et celui qui se heurtera au difficile choix de ses parents.
Sara Derraï
[1] J. Carbonnier, - Droit civil, La famille, L'enfant, le couple, t. 2, PUF, 21e éd., 2002, p. 238 ; (Genèse, XIV, § 2s.).
[2] Dites techniques homologues ou endogènes.
[3] Dites techniques hétérologues ou exogènes.
[4] Depadt-Sebag, Le don de gamètes ou d'embryon dans les procréations médicalement assistées, D. 2004, p. 891.
[5] Seule la PMA avec donneur sera envisagée ici car elle pose de sérieux problèmes d'ordre éthique.
[6] C. civil, article 311-20, alinéa 4.
[7] C. civil, article 311-20, alinéa 5.
[8] C. civil, article 311-20, alinéa 2.
[9] C. civil, article 311-20, alinéa 3.
[10] V. pour une application récente : CEDH, sect. IV, 7 mars 2006, Evans C/ Royaume-Uni, req. n° 6339/05 :D. 2007. Pan. 1108, obs. Galloux et Gaumont-Prat ; dans le même sens : CEDG, gr. ch. 10 avril 2007 : D. 2007, AJ 1202, obs. Delaporte-Carré ; JCP 2007, II, 10097, note Mathieu.
[11] La filiation de l'enfant issu d'une PMA est réglementée par les articles 311-19 et 311-20 issus des lois du 29 juillet 1994 ;
[12] C. civil, article 311-19, alinéa 1.
[13] C. civil, article 311-19, alinéa 2.
[14]Centres d'études et de conservation des oeufs et du sperme (CECOS).
[15] Professeur de biologie de la reproduction, fondateur en 1973 des CECOS, membre de l'Académie nationale de médecine.
[16] C. civil, article 16-8 et C. san. pub., article L. 665-14.
[17] L'anonymat du don est un principe d'ordre public à valeur législative.
[18] Conv. IDE, article 7.
[19] Le droit à connaître ses origines relève du droit au respect de la vie privée inscrit à l'article 8 de la Conv. EDH ; cf. l'arrêt Gaskin (CEDH, 7 juill. 1989, Grands arrêts de la CEDH, p. 324).
[20] Ces chiffres ne représentent pas une globalité car ils supposent que tous les enfants aient été informés sur leur mode de procréation.
[21] Selon des critères avantageux.
[22] Il s'agit de la proposition de loi relative à la levée de l'anonymat des donneurs de gamètes présentée par Madame Valérie Pécresse.
[23] Tels que le recours à l'identification génétique du donneur, des demandeurs et de l'enfant conçu, sans compter les difficultés de gestion par les centres médicaux.