Contrairement à l'image du fonctionnaire « protégé » par son statut, l'emploi public, comme la société d'une façon générale, évolue et se voit toucher par la précarité de certains de ses agents. Des trois fonctions publiques , c'est la territoriale avec son fort taux de non-titulaires (1 agent sur 5) qui est la plus confrontée à ces situations de fragilité financière, de l'emploi ou des droits . Pour lutter contre ce phénomène, propositions, préconisations émergent et un projet de loi a été présenté en Conseil des ministres par François Sauvadet, ministre de la Fonction publique, le 7 septembre 2011.
Selon le rapport du CSFPT de mars 2011, la précarité dans la territoriale serait « grandissante » : le développement des prestations d'action sociale (aide aux repas, aides financières exceptionnelles...), ces dernières années, en est une preuve . Depuis avril 2011, les décideurs locaux disposent d'un guide original qui leur propose des conseils d'actions « stratégiques et globales » de lutte contre la précarité. Le projet de loi présenté le 7 septembre dernier vise notamment à faciliter la requalification en CDI des contrats de non-titulaires employés sur des postes où les besoins sont en réalité permanents.
La précarité dans la fonction publique, une notion « multidimensionnelle »
En partant de la définition proposée en 1987, par le fondateur d'ATD Quart-Monde, le père Joseph Wresinski, pour qui la précarité « est l'absence d'une ou plusieurs des sécurités, notamment celle de l'emploi, permettant aux personnes et aux familles d'assumer leurs obligations professionnelles, familiales et sociales et de jouir de leurs droits fondamentaux. L'insécurité qui en résulte peut être plus ou moins étendue et avoir des conséquences plus ou moins graves et définitives. Elle conduit à la grande pauvreté, quand elle affecte plusieurs domaines de l'existence, qu'elle devient persistante, qu'elle compromet les chances de réassumer ses responsabilités et de reconquérir ses droits par soi-même, dans un avenir prévisible » [1], on pourrait penser a priori, que travailler dans la fonction publique, de par les garanties réelles ou supposées du statut[2], protège de ce phénomène. Le statut général de 1983 prévoit en effet, qu'un « fonctionnaire » bénéficie de la garantie de l'emploi par son administration. Alors que dans le secteur privé, la suppression d'un emploi est le plus souvent synonyme de licenciement, le statut prévoit que dans ce cas, le titulaire est affecté dans un nouvel emploi. La raison à cela est que, l'agent qui, après recrutement - en principe par concours - a été placé en période de stage, et à l'issue de cette période est devenu « titulaire », occupe un « emploi permanent » puisqu'il exécute un service public.
Cependant, l'action publique, exige de plus en plus de souplesse. Aussi, et contrairement aux idées reçues, les principes du service public (continuité, mutabilité/adaptabilité, égalité de fonctionnement)[3] imposent aux agents de faire preuve d'une réelle flexibilité pour répondre aux besoins de la population. Le même statut a donc autorisé, avec une accélération ces dernières années, à déroger au principe des emplois permanents et a rendu possible le recours - parfois excessif - aux agents « non titulaires »[4], aux contrats à durée déterminée, aux temps non complets et aux emplois aidés temporaires.
Ces dérogations favorisent de fait l'accroissement de la précarité de l'emploi...
Mais pas seulement. En effet, les dernières études (du CSFPT, des élèves de l'INET, par exemple)[5] révèlent que les situations de précarité que connaissent certains agents peuvent revêtir bien des formes allant de l'instabilité de l'emploi aux nouvelles formes de pauvreté (déficit d'accès aux soins, mal logement...) :
- de manière globale, les observateurs recensent trois types de précarité : la précarité de l'emploi, la précarité des droits et la précarité financière et ils insistent sur leur interdépendance ;
- pour illustrer le fait que la précarité est une notion à géométrie variable, les élèves de l'INET l'ont représentée sous la forme d'un halo.
Au centre, un premier cercle de précarité financière, entouré d'un second, la précarité statutaire et de l'emploi. De ces deux cercles émergent trois autres sphères, celle des difficultés sociales, celle des problèmes de santé et la troisième de l'usure et du malaise au travail.
En tête des agents les plus concernés ? Les territoriaux ; la FPT employant le plus fort taux de non-titulaires, offrant les plus faibles rémunérations et les plus faibles retraites[6].
Les agents territoriaux particulièrement touchés par les situations de précarité
Le rapport sur la précarité dans la FP rendu en mars 2011 présente donc un état des lieux qui fait ressortir : une situation toujours plus inquiétante pour ce qui concerne les non-titulaires territoriaux. Souvent ces agents subissent une précarité de l'emploi puis une précarité financière (un « présent » compliqué d'un point de vue matériel et la difficulté de se projeter dans l'avenir vont souvent de pair).
Plus précisément, la territoriale emploie un agent sur cinq sur emploi contractuel. Parmi les agents non titulaires en situation instable et d'incertitude professionnelle, les femmes sont surreprésentées (68 % des non-titulaires), les temps non complets fréquents (37 % des non-titulaires) et les emplois aidés même s'ils diminuent (14 % des effectifs des communes de moins de 1 000 habitants). Géographiquement, dans la plupart des Dom Com (collectivités d'Outre-mer), il existe une part importante de non-titulaires et d'emplois aidés. Conjuguée à des temps de travail réduits, l'instabilité de l'emploi non titulaire rend les agents plus vulnérables. Autre constat : les collectivités franciliennes sont particulièrement concernées : 55 % des recrutements étaient contractuels en Ile-de-France en 2007, pour 34 % en moyenne au niveau national.
Les filières animation, médico-sociale, culturelle et les emplois liés à la petite enfance, aux services à la personne, à l'entretien des locaux (au sein desquels les femmes s'avèrent fortement surreprésentées), sont particulièrement concernés. Dans les grandes collectivités, les catégories A[7], souvent dans des « métiers émergents » (développement local, politiques publiques d'aménagement...), sont surreprésentées mais les catégories C constituent une part importante (100 000) des non-titulaires en situation de précarité. Même si certains grades peuvent être recrutés en direct, puis titularisés, sans concours. Le maintien de certaines conditions pour l'accès à la fonction publique (telles que l'exigence de nationalité française) constitue pour les personnes concernées un facteur d'instabilité et de précarité.
Mais le rapport met en avant également une précarité « grandissante » de certains agents titulaires du fait principalement, des « bas salaires » pratiqués entraînant une précarité financière et de l'insuffisance d'information des agents engendrant une précarité des droits.
Les plus touchés sont les agents à temps non complet (13 % des agents titulaires, soit 165 000 agents), et, là encore, il s'agit souvent d'agents de catégorie C et des femmes. Avec des rémunérations territoriales inférieures de 300 euros en moyenne à celles des salariés du privé et de 500 euros par rapport à celles des fonctionnaires de l'État, la précarité financière peut, selon les témoignages recueillis, toucher la plupart des agents de catégorie C dès qu'ils ont le moindre problème familial (divorce, veuvage, situation de parent isolé) ou de santé (invalidité temporaire ou définitive entraînant une inaptitude physique, etc.).
Le coût du logement constitue également, selon les régions, un facteur de vulnérabilité. Cette précarité financière des agents (titulaires ou non) se traduit par une montée du surendettement et des demandes d'aides financières, due à plusieurs facteurs :
- besoins de liquidité plus importants pour compenser la variabilité des revenus et faire face au quotidien (particulièrement chez les non-titulaires) ;
- une plus grande facilité d'accès au crédit des agents titulaires (en raison du statut réputé « stable » par les organismes préteurs). Enfin, l'insuffisance d'information des agents entraîne une précarité des droits qui se rencontre dans l'accès aux soins (avec le renoncement des agents à l'assurance complémentaire santé), à propos des reclassements mais également au moment de la retraite[8], et pour les non-titulaires, à propos de leurs droits à l'assurance-chômage, à la formation...
Pour lutter contre les situations de précarité, les acteurs de la FPT en particulier, mais également l'ensemble des partenaires sociaux et le gouvernement au niveau national s'est saisi du problème et entend agir sans délai. D'une part, le début de l'année 2011 a été marqué par la rédaction d'un plan de préconisations d'actions préventives, structurelles, et l'élaboration d'un guide afin d'aider les décideurs locaux à mettre en place une stratégie managériale d'action plus globale. D'autre part, le 7 septembre dernier, la proposition d'une nouvelle loi a été faite par le gouvernement.
But : améliorer rapidement les conditions d'emploi de tous les agents contractuels du secteur public et favoriser leur accès à l'emploi titulaire.
Des pistes pour que la précarité ne soit plus une fatalité...
Concrètement pour lutter contre les situations de précarité, bon nombre de collectivités expérimentent des actions volontaristes contre les précarités qu'elles induisent (ex. attention particulière aux conditions de travail génératrices de précarité, résorption de la précarité statutaire...) mais aussi contre celles de la sphère privée : participation aux mutuelles santé ou aux contrats de prévoyance, mise en place d'actions de lutte contre l'illettrisme, sur le logement (quotas de logements réservés dans les offices d'HLM, garanties d'emprunt...), création de fonds de solidarité, etc. Ces actions ont des résultats concrets sur la précarité des agents. Cependant, elles présentent des limites réelles et n'offrent pas une vision globale du sujet.
Un guide à l'attention des dirigeants territoriaux vient donc de voir le jour en avril 2011. Proposition des élèves administrateurs : inscrire leurs « démarches de lutte contre la précarité dans un système plus cohérent d'actions ». Au total, 17 préconisations - assez ambitieuses - sont faites et doivent permettre aux collectivités d'élaborer une « stratégie structurante » (ex. définir une grille d'analyse interne, clarifier le périmètre d'intervention de la collectivité, mobiliser les managers de proximité et consolider leurs compétences pour mieux lutter contre les précarités) puis « d'agir sur la précarité » (ex. travailler sur une nouvelle organisation du travail permettant de réduire l'emploi précaire, accompagner les agents dans les événements et accidents de la vie) et « d'être attentif à son halo » (ex. accompagner les agents vers plus d'autonomie, porter une attention particulière aux projets de réorganisation de services).
Le CSFPT, dans son étude, s'est lui attaché à formuler (parmi seize propositions) des axes visant à renforcer les actions de lutte contre la précarité au niveau national, tels que :
- régulariser la situation des agents non titulaires ;
- assurer une égalité de traitement des fonctionnaires sur le territoire ;
- faciliter l'accès aux bourses de l'emploi ;
- renforcer le dialogue social et l'information des agents ;
- favoriser l'accès au logement. Un appel qui semble être (en partie au moins) entendu par le gouvernement...
...Et un nouveau projet de loi pour remédier à ce phénomène
Issu des accords gouvernement-syndicats de fin mars[9], le projet de loi pour lutter contre la précarité présenté lors du Conseil des ministres du 7 septembre 2011, vise dans les grandes lignes, d'abord, à faciliter la requalification en contrat à durée indéterminée (CDI) des contrats correspondant en réalité à des besoins pérennes (titre Ier). Dans le cadre des dispositions introduites par la loi du 26 juillet 2005[10], certains contractuels avaient déjà pu bénéficier d'une transformation de leur contrat en CDI. Le projet propose d'en élargir les conditions d'accès (ancienneté exigée réduite à trois ans pour les agents âgés d'au moins 55 ans au lieu de six et pouvant avoir été acquise de manière discontinue).
Ensuite, pour résorber l'emploi précaire dans la fonction publique et améliorer les perspectives professionnelles des agents contractuels, le texte (titre II) ouvre, pour quatre ans et sous certaines conditions, un dispositif particulier d'accès à l'emploi titulaire. Les conditions d'éligibilité à ces voies d'accès doivent être remplies au 31 mars 2011, date de signature du protocole d'accord avec les syndicats. L'agent doit être employé à cette date sur un emploi permanent de l'administration. Le dispositif est ouvert, sous conditions, aussi bien aux agents recrutés par CDI ou CDD.
Enfin, plusieurs dispositions du projet de loi créent les conditions d'un plus large accès au CDI pour les agents occupant un emploi permanent de l'administration. Il prévoit par exemple d'élargir le dispositif déjà mis en place dans la FPH, à titre expérimental, permettant aux administrations de l'Etat de recruter directement en CDI pour pourvoir des emplois permanents correspondant à des missions pour lesquelles il n'existe pas de corps de fonctionnaires (si l'expérimentation est concluante, ce dispositif pourrait être étendu à la FPT).
Ce projet de loi - s'il est adopté - consacrerait la titularisation de 40 à 50.000 agents en CDD et proposerait des CDI pour 100 000 agents (la FP compte 900 000 contractuels). Après l'annonce de la suppression de plus de 100 000 emplois par le non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite, ce texte peut paraître paradoxal mais le gouvernement explique qu'il s'agit maintenant de « rompre avec une politique qui a laissé se constituer de véritables îlots de précarité ». La précarité des agents, phénomène récurrent dans la fonction publique, dont la progression est donc aujourd'hui reconnue par tous, ne devrait donc en aucun cas devenir une fatalité...
Sandrine BOTTEAU
Pour aller plus loin :
- « La précarité dans la fonction publique territoriale », CSFPT, 16 mars 2011
- lien vers le rapport : Rapport
- « Trop de précarité dans la fonction publique territoriale », Le Monde, 22 mars 2011.
- « Précarité dans la fonction publique : l'état des lieux du CSFPT », La Gazette des communes, M. Doriac, A. l'AFP, 17 mars 2011.
- « Les précarités dans la fonction publique territoriale : quelles réponses managériales ? », INET, étude des administrateurs territoriaux de la promotion Robert Schuman, avril 2011.
- Sur Légifrance : projet de loi relatif à l'accès à l'emploi titulaire et à l'amélioration des conditions d'emploi des agents contractuels dans la fonction publique, à la lutte contre les discriminations et portant diverses dispositions relatives à la fonction publique.
[1] Définition également retenue par le groupe de travail à l'origine du rapport du Conseil supérieur de la fonction publique territoriale (CSFPT) précité de mars 2011.
[2] Le statut général des fonctionnaires dépend de quatre lois formant chacune l'un des titres de ce statut :
Dispositions générales : titre I : loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires (loi Le Pors) ;
Fonction publique d'État : titre II : loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique d'État ;
Fonction publique territoriale : titre III : loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant disposition statutaires relatives à la fonction publique territoriale ;
Fonction publique hospitalière : titre IV : loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière.[3] Lois du service public dites « lois de Rolland ».
[4] Ex. contractuels.
[5] Ex. « La précarité dans la fonction publique territoriale », CSFPT, La Documentation française, mars 2011 ; « Les précarités dans la fonction publique territoriale : quelles réponses managériales ? », étude des administrateurs territoriaux de la promotion Robert Schuman, avril 2011.
[6] En 2008, le montant mensuel moyen des pensions versées par la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL) s'élève à 1 191 euros.
[7] Les métiers de la fonction publique sont classés en trois catégories : A, B et C, selon les fonctions exercées et le niveau de diplômes requis. Ainsi, pour la catégorie :
- A (attaché territorial, ingénieur par exemple) pour ce qui concerne les fonctions de conception, de direction ou d'encadrement, avec un niveau licence minimum (Bac + 3 ou plus) ;
- B (contrôleur des impôts, rédacteur territorial, etc.) : fonctions d'application et de rédaction, niveau baccalauréat ou Bac + 2 ;
- C (adjoint administratif, auxiliaire de soins, etc.) : fonctions d'exécution, niveau inférieur au baccalauréat (BEP, CAP) (voire même aucun diplôme).[8] En 2008, le montant mensuel moyen des pensions versées par la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL) s'élève à 1 191 euros.
[9] Accords du 31 mars entre le gouvernement et six syndicats (CGT, CFDT, FO, Unsa, CFTC et CFE-CGC).
[10] Loi n° 2005-843 du 26 juillet 2005 portant diverses mesures de transposition du droit communautaire à la fonction publique.