Albin Michel, octobre 2008, 221 pages.
On parle de plus en plus de nos jours d'une « perte » du travail qui fragiliserait les fondements mêmes de notre société. L'essai du sociologue François Vatin vise à placer le débat autour des valeurs du travail en s'appuyant sur une analyse de la notion de travail depuis le XVIIIe siècle. Sommes-nous en mesure aujourd'hui de poser une nouvelle conceptualisation du travail, capable de penser les modalités par lesquelles nous continuons plus que jamais à interagir avec la nature ?
Tel est l'enjeu du débat proposé par cet ouvrage.
François Vatin est professeur de sociologie à l'université de Paris X Nanterre. Il est l'auteur de nombreux ouvrages et notamment « Économie et littérature » (2007), « Trois essais sur la genèse de la pensée sociologique politique » (2005), « La citoyenneté aujourd'hui » (1995)...
L'objectif de l'auteur est de suivre le concept de travail dans tous ses avatars depuis le XVIIIe siècle afin de définir une nouvelle conceptualisation du travail. Son analyse va ainsi le conduire de l'économie politique à la sociologie du travail en passant par la physiologie du travail.
Avec l'économie politique commence le règne du travail
Cette réhabilitation de travail trouve son origine dans la Révolution qui instaure, au nom d'un idéal politique égalitariste, une véritable religion du travail. À l'appui de sa démonstration, l'auteur fait référence aux théories de quelques grands économistes comme Adam Smith, pour qui le travail constitue l'origine de toute richesse, ou Ricardo, qui dénie toute portée morale à la valeur-travail.
Mais pour comprendre le concept du travail au XXe siècle, il est aussi nécessaire de l'aborder sous l'angle de la mécanique et de la physiologie qui permet de penser l'activité humaine à travers des systèmes d'évaluation physique. Cette analyse débouche sur un concept ambivalent de travail mi-physique, mi-économique.
Mais ce concept doit cependant être prolongé par rapport à un modèle biologique. La notion de « division physiologique du travail » est ainsi l'une de celle qui a la plus marqué la biologie au XIXe siècle. Elle conduit à la théorie de l'organicisme social chère à Spencer ; elle joue aussi un rôle essentiel dans les thèses de Durkheim. Le travail, bien plus qu'un simple facteur productif, devient alors « le ciment même du lien social ». La fin du XIXe siècle est marquée par un mouvement d'organisation scientifique du travail parallèlement à l'éclosion des recherches psycho-physiologiques sur le travail humain. Mais ces travaux se soldent par un échec, ce qui a conduit à s'interroger sur le concept même de travail et sur la possibilité de sa mesure. Compte tenu que l'homme a perdu au XXe siècle toute fonction proprement énergétique dans la production, le champ est alors ouvert à la sociologie du travail.
Celle-ci exprime aujourd'hui une nouvelle idée qui oppose non plus le travail au capital mais ceux qui travaillent et bénéficient d'une protection sociale aux chômeurs et aux exclus.
Le travail humain est, aujourd'hui comme hier, au croisement de la technicité, de la valorisation économique et de l'organisation sociale. Pour l'auteur, le XXe siècle a enfermé le travail dans les sciences humaines d'où l'idée de « perte du travail ».
In fine, l'auteur se penche sur les politiques d'insertion qui, pour lui, visent à faire du travail, « un artefact social, un temps reconnu comme sociabilisateur ». Le travail devient alors un moyen et non une fin, ce qui le conduit à perdre sa valeur en terme de facteur de production. Cette évolution est inquiétante car des idéologies se font jour, développant l'idée « d'une fin du travail ».
La mise en place des 35 heures en 1997 est symptomatique de cette évolution car elle évoque une conception métrique du travail qui pourrait être additionné et divisé, provoquant ainsi une perte de sa valeur. La politique défendue par Nicolas Sarkozy « travailler plus pour gagner plus » se révélera aussi à l'usage aussi complexe et facteur d'effets pervers car reposant sur une même représentation du travail. De fait, le travail n'est pas une valeur mais un acte productif. Mais parce qu'il est productif, le travail reste une valeur sociale.
Pascal JOLY