Actualité
Réforme des Instituts régionaux d'administration (IRA) : une « révolution culturelle » ?
novembre 2009
Les IRA (Instituts régionaux d'administration) sont au nombre de cinq (Lille, Lyon, Nantes, Metz et Bastia).
Ils ont vocation à former les agents de l'État. Afin de mieux répondre aux attentes des administrations et diversifier les viviers de recrutement, les « petites soeurs régionales » [1] de l'ENA[2] doivent faire peau neuve.
Pour relever ce défi, une réforme des IRA (impulsée en 2005, et articulée en trois parties (modalités de concours, formation, scolarité) a été lancée.
Depuis septembre 2009, le rythme s'accélère, bien que des changements, certes modestes mais malgré tout significatifs soient intervenus : mise en place de classes préparatoires intégrées, concours aux procédures réduites en nombre et épreuves professionnalisées.
L'idée est de continuer à former les agents de catégorie A dans le respect des valeurs du service public. Mais avec un souci d'ouverture sur la société.
Professionnaliser le recrutement est devenu indispensable tout en garantissant la plus grande impartialité dans la procédure.
La formation des « élites » se veut plus adaptée à l'environnement professionnel.
Des missions traditionnelles des IRA tournées vers la formation des agents de l'État
Les cinq écoles d'application à vocation interministérielle (IRA de Lille, Lyon, Nantes, Metz et Bastia) ont vu successivement le jour dans les années 1970 pour assurer trois missions :
- contribuer à la formation continue interministérielle et ministérielle (préparation aux concours de catégories A et B (niveau Bac minimum), stages de formation ou ponctuels organisés à la demande) ;
- participer à la coopération internationale (échanges avec des écoles administratives, expertise en matière d'organisation de formations de cadres administratifs et d'ingénierie étrangers) ;
- former l'encadrement de la fonction publique de l'État ce qui constitue « leur coeur de métier » : formation des attachés/fonctionnaires de catégorie A (niveau Bac + 3 minimum) d'administration générale (autres que ceux recrutés par la voie de l'ENA) chargés de missions les plus diverses : gestion des ressources humaines, financières et matérielles, études dans des domaines juridiques, économiques ou sociaux, encadrement et animation d'équipes, conduite de projets, etc.
L'entrée aux IRA, une voie d'accès à la fonction publique largement méconnue du public
Un principe d'accès aux IRA par concours
L'entrée aux IRA, comme c'est le principe dans la fonction publique, dépend du système de concours avec des épreuves écrites générales et/ou techniques, et des épreuves orales dont un entretien avec le jury.
Trois concours interministériels nationaux, organisés par la Direction générale de l'administration et de la fonction publique (DGAFP) donnent ainsi accès aux IRA :
- le concours externe, ouvert aux étudiants possédant un diplôme national sanctionnant un second cycle d'études supérieures ;
- le concours interne, réservé aux candidats occupant depuis quatre ans (au 1er janvier de l'année du concours) un emploi civil ou militaire ;
- le troisième concours réservé aux personnes justifiant de cinq années d'exercice d'une activité professionnelle ou d'un mandat d'élu d'une collectivité territoriale.
Malgré quelques avancées récentes obtenues grâce au droit communautaire, ce système a mal vieilli : un sentiment diffus de discrimination, manque de diversité, part à la culture générale faite au détriment de la reconnaissance des parcours professionnels...
Une préparation au concours désormais possible par la mise en place de Classes préparatoires intégrées (CPI) pour plus de diversité
Un rapport sur ces établissements, remis le 19 février dernier à Éric Woerth, accusait en particulier les écoles « emblématiques » de l'ascenseur social (ENA, Polytechnique et Écoles normales) d'être trop homogènes privilégiant certaines catégories sociales et d'une manière générale les enfants de fonctionnaires[3].
Aussi, afin de permettre à des candidats issus de milieux défavorisés de renforcer leur chance de réussir le concours externe d'entrée à l'IRA, quelques mesures nouvelles sont venues s'ajouter aux dispositifs existants en leur offrant au sein même de l'Institut une préparation adaptée. Depuis septembre 2009, sont pour la première fois mises en place les classes préparatoires intégrées (CPI) à raison de vingt-cinq élèves par établissement.
Les étudiants avaient jusqu'à début juin pour remettre leur dossier et ont été sélectionnés par une commission sur la base des critères suivants :
- la motivation ;
- le profil socio-économique ;
- le mérite, notion appréciée au vu des résultats obtenus lors des études antérieures, « compte tenu de difficultés d'origine matérielle, familiale ou sociale et des conditions de réalisation du parcours scolaire et universitaire ».
Certains recevront également des allocations pour la diversité dans la fonction publique (dispositif qui permet de soutenir financièrement à hauteur de 2 000 euros les candidats les plus méritants pour préparer les concours administratifs) et des facilités de logement (« internats d'excellence »).
Un toilettage des modalités d'entrée à l'Institut appréciable mais qui reste insuffisant
Les modalités d'organisation du concours ont été modifiées afin de donner plus d'attractivité aux IRA.
Le choix de l'école désormais possible
Auparavant, le choix de l'IRA dépendait du classement au concours du candidat et les affectations avaient lieu sur toute la France. Depuis le concours organisé en 2007, les IRA prennent une part plus importante dans l'organisation du recrutement des attachés puisque les candidats choisissent l'institut dans lequel ils sont formés pendant douze mois (de septembre à août de l'année suivante), et donc recrutés. À la clé : la possibilité de donner aux candidats la certitude du lieu de leur institut de formation et celle de pouvoir réduire les délais du processus de recrutement. Mais ceci est loin d'être suffisant face aux enjeux actuels.
Le Chef d'État, en septembre 2007[4], a en effet exprimé son souhait de voir : « une révolution culturelle (...) pour changer les mentalités, (...) les comportements et pas seulement les structures, pas seulement les procédures (...)». Il a appelé la Haute fonction publique à se montrer exemplaire dans la modernisation.
Pour les promoteurs de cette réforme, parmi lesquels Corinne Desforges, auteur d'un rapport sur ce sujet en 2008[5], le maître mot est d'abord la professionnalisation des concours. Autrement dit, une sélection de nature professionnelle doit remplacer celle fondée sur des critères purement académiques afin de répondre de manière plus efficace aux besoins des services qui recrutent. Ensuite, il s'agit d'avancer dans le domaine de la diversité au travail.
Des épreuves repensées et simplifiées
Afin de permettre à une population plus large et professionnelle de présenter le concours d'entrée aux IRA, les épreuves écrites ont été réaménagées et les épreuves orales réorientées pour mieux prendre en compte les parcours antérieurs personnels et/ou professionnels des candidats. L'objectif est de diversifier les viviers de recrutement et de mieux mettre en adéquation le profil des lauréats avec les postes de sortie.
Les épreuves écrites des trois concours sont désormais les suivantes :
Pour le concours externe: plus d'épreuve de «culture générale» ni d'épreuve à options qui comprenait huit disciplines. Le secrétaire d'État à la Fonction publique a annoncé qu'il marginaliserait cette épreuve, «signe d'un élitisme stérile».
L'admissibilité repose désormais sur deux épreuves :
- l'une portant sur la place de l'État et son rôle dans les grands domaines de l'intervention publique (société, économie, emploi, santé, territoires...). En janvier dernier, le sujet était « La fonction publique peut-elle être à l'image de la société française ? » et devait permettre au jury « d'évaluer l'ouverture au monde des candidats, leur aptitude à l'analyse et au questionnement ainsi que leur capacité à se projeter dans leur futur environnement professionnel »[6] ;
- l'autre portant sur un contrôle des connaissances « basiques » (droit public, finances publiques...) et directement liées au métier de cadre, constitué d'une série de six à dix questions à réponse courte au lieu de dix à quinze avec un ajout au programme : « Gestion des ressources humaines, questions sociales »[7]. Cette épreuve permet également de vérifier la capacité de synthèse des candidats.
L'admission ne ressemble plus à un « grand oral » testant des connaissances souvent éloignées des exigences du métier de cadre A, mais est fondée sur un entretien de recrutement avec mise en situation du candidat. Il est destiné à évaluer les qualités personnelles du candidat, son potentiel, son comportement face à un cas concret. Lors de cet entretien, le candidat présente son parcours et ses motivations.
Pour cela, le jury dispose d'une fiche individuelle de renseignements (fiche transmise par le candidat admissible). Bien que la fiche soit non notée, le candidat doit soigner sa présentation notamment, dans la rubrique « Observations » : mettre en valeur les travaux, stages, activités même bénévoles. Ceci favorise l'appréciation de la personnalité et un dialogue constructif avec le jury. En revanche, « une fiche « fleuve » est inopérante et dénote une incapacité à la synthèse et à la définition de priorités »[8].
S'y ajoute enfin, une épreuve de langue vivante étrangère « langue de communication », de moindre coefficient.
Pour le concours interne et le 3e concours, il n'y a plus que deux épreuves:
- un écrit d'admissibilité, prenant la forme d'une note administrative pour les internes et d'une note de synthèse pour les candidats au 3e concours. Il s'agit là d'apprécier les qualités de rédaction, d'analyse et de synthèse du candidat ainsi que son aptitude à dégager des solutions appropriées[9] ;
- un entretien d'admission se déroulant sur la base d'un dossier relatant l'expérience acquise par le candidat dans le secteur public et/ou le secteur privé (dossier établi et remis par le candidat).
Une valorisation de l'expérience professionnelle lors de l'épreuve orale
L'épreuve de Reconnaissance des acquis de l'expérience professionnelle (RAEP) introduite par le ministère du Budget, des Comptes publics et de la Fonction publique pour le concours interne et le 3e concours permet au jury de conclure de la capacité des candidats à exercer de nouvelles fonctions et/ou responsabilités et de les départager sur ces critères. Au cours de cet entretien, le candidat est interrogé sur ses connaissances administratives générales mais il doit s'attacher (et ce, dès qu'il remplit son dossier) à valoriser l'expérience professionnelle acquise dans l'exercice de ses fonctions au sein d'une administration, d'un service déconcentré ou encore en tant que salarié d'une entreprise, de responsable d'une association ou d'élu d'une collectivité territoriale... en lien avec le métier auquel il postule. Il doit donc montrer qu'il a des notions précises sur les métiers qu'il pourrait exercer. Bref, mettre en perspective la description de ses fonctions avec son projet de carrière.
Une formation remaniée pour répondre aux attentes des administrations
La formation des lauréats au concours réaménagée
La formation se déroule désormais en deux temps, avec une partie « tronc commun » pour tous les stagiaires, qui vise à assurer la maîtrise des compétences communes à tout attaché, et une seconde partie spécialisée d'approfondissement dans trois univers professionnels interministériels (administration centrale, services territoriaux/déconcentrés de l'État, administration scolaire et universitaire) afin de mieux préparer les attachés à leurs futures fonctions. Auparavant, la formation était généraliste sur la totalité de l'année.
Il s'agit, selon le ministère, de faire disparaître les divisions statutaires des corps et de donner un rôle plus important à la dimension fonctionnelle des emplois que les attachés peuvent occuper, tout en appartenant au même corps.
À ce stade, si la création des CPI est saluée, la fin de la culture générale aux concours fait des vagues et certains annoncent que le niveau de recrutement va baisser, que l'on préfère « recruter utile plutôt que miser sur l'intelligence »[10]. Toutefois, les auteurs de la réforme sont convaincus que c'est ainsi que la diversité du recrutement sera favorisée. Pour terminer, les auteurs esquissent une série de scénarios « plus audacieux » pour l'avenir, dont celui de « l'ouverture de concours par niveau, communs à plusieurs filières, suivis d'une formation par métier dans une école d'application ». Avec de telles intentions et vu ces temps de crise où des économies considérables sont à dégager, on verrait presque proposer la fusion de l'ENA et des IRA dans un seul groupe des écoles nationales d'administration...
Pour aller plus loin
IRA de Bastia (www.ira-bastia.fr), courriel : concours.bastia@ira-bastia.fr
IRA de Lille (www.ira-lille.gouv.fr), courriel : concours@ira-lille.gouv.fr
IRA de Lyon (www.ira-lyon.gouv.fr), courriel : concours@ira-lyon.gouv.fr
IRA de Metz (www.ira-metz.gouv.fr), courriel : concours@ira-metz.gouv.fr
IRA de Nantes (www.ira-nantes.gouv.fr)
[1] Expression qui était employée en 1970 et 1979, date de création des IRA.
[2] École nationale d'administration, créée en 1945, chargée d'assurer la sélection et la formation initiale et continue de hauts fonctionnaires français (administrateurs civils,...) et internationaux.
[3] Rapport de Le Bris R-F. sur la formation initiale des fonctionnaires, février 2009.
[4] Discours devant les élèves de l'IRA de Nantes, 19 septembre 2007.
[5] Rapport établi par Corinne Desforges et Jean-Guy de Chalvron, inspecteurs généraux de l'administration, janvier 2008.
[6] Extraits du rapport de l'IRA de Metz concours 2009.
[7] Exemples de QRC : le maire agent de l'Etat, le traité de Lisbonne, les grands principes de la responsabilité administrative, le rôle du FMI, la LOLF : déclinaison, missions, programmes actions, fiscalité et croissance économique.
[8] Extraits du rapport de l'IRA de Metz concours 2009.
[9] La note de synthèse traitait d'un sujet d'actualité « droit d'accueil dans les écoles pour les élèves de maternelles et élémentaires pendant le temps scolaire ; son principe et ses conséquences sur le droit de grève ».
[10] François Deschamps, Recruter utile ou miser sur l'intelligence, La Lettre du cadre territorial, 15 janvier 2009, p. 27.
Sandrine BOTTEAU